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Leurs flancs sont décharnés ; une morne tristesse
De leurs stupides yeux éteint le mouvement ;
Et leur front affaissé tombe languissamment.
Hélas ! Que leur servit de sillonner nos plaines,
De nous donner leur lait, de nous céder leurs laines ?
Pourtant nos mets flatteurs, nos perfides boissons,
N’ont jamais dans leur sang fait couler leurs poisons :
Leurs mets, c’est l’herbe tendre et la fraîche verdure ;
Leur boisson, l’eau d’un fleuve ou d’une source pure ;
Sur un lit de gazon ils trouvent le sommeil,
Et jamais les soucis n’ont hâté leur réveil.
Pour apaiser les dieux, on dit que ces contrées
Préparaient à Junon des offrandes sacrées :
Pour les conduire au temple on chercha des taureaux,
À peine on put trouver deux buffles inégaux.
On vit des malheureux, pour enfouir les graines,
Sillonner de leurs mains et déchirer les plaines ;
Et, raidissant leurs bras, humiliant leurs fronts,
Traîner un char pesant jusqu’au sommet des monts.
Le loup même oubliait ses ruses sanguinaires ;
Le cerf parmi les chiens errait près des chaumières ;
Le timide chevreuil ne songeait plus à fuir,
Et le daim, si léger, s’étonnait de languir.
La mer ne sauve pas ses monstres du ravage :
Leurs cadavres épars flottent sur le rivage ;
Les phoques, désertant ces gouffres infectés,
Dans les fleuves surpris courent épouvantés ;
Le serpent cherche en vain le creux de ses murailles ;
L’hydre étonnée expire en dressant ses écailles ;
L’oiseau même est atteint, et des traits du trépas
Le vol le plus léger ne le garantit pas.
Vainement les bergers changent de pâturage ;
L’art vaincu cède au mal ou redouble sa rage :
Tisiphone, sortant du gouffre des enfers,
Épouvante la terre, empoisonne les airs,
Et sur les corps pressés d’une foule mourante
Lève de jour en jour sa tête dévorante.
Des troupeaux