Page:Virgile - Georgiques Delille 1819.djvu/207

Cette page n’a pas encore été corrigée

Marche d’un pas léger sous sa charge pesante,
Et, traversant les eaux, franchissant les sillons,
Court devant l’ennemi planter ses pavillons.
Mais aux champs où l’Ister roule ses flots rapides,
Aux bords du Tanaïs et des eaux méotides,
Aux lieux où le Rhodope, après un long détour,
Termine vers le nord son oblique retour,
Aucun troupeau ne sort de son étable obscure :
Là les champs sont sans herbe et les bois sans verdure ;
Là le temps l’un sur l’autre entasse les hivers ;
L’œil ébloui n’y voit que de brillants déserts,
Que des plaines de neige ou des rochers de glace,
Dont jamais le soleil n’effleura la surface :
Des frimas éternels et des brouillards épais
Éteignent tous ses feux, émoussent tous ses traits ;
Et, soit que le jour naisse, ou qu’il meure dans l’onde,
La nature y sommeille en une horreur profonde :
Là le fleuve en courant sent épaissir ses eaux ;
Des chars osent rouler où voguaient des vaisseaux :
Plus loin un lac entier n’est plus qu’un bloc de glace ;
La laine sur les corps se raidit en cuirasse ;
La hache fend le vin ; le froid brise le fer,
Glace l’eau sur la lèvre et le souffle dans l’air.
Cependant, sous les flots de la neige qui tombe
La faible brebis meurt, le fier taureau succombe,
Les daims sont engloutis, et le cerf, aux abois,
Découvre à peine aux yeux la pointe de son bois.
Contre ces animaux, désormais moins agiles,
Les rets sont superflus, les chiens sont inutiles :
Tandis que, rugissant dans leurs froides prisons,
Ils soulèvent en vain le fardeau des glaçons,
Le barbare les perce, et, mugissant de joie,
Dans ses antres profonds court dévorer sa proie.