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Et la serpe tranchante, et les pesants râteaux,
L’arbre heureux de la paix voit fleurir ses rameaux.
Tel encor, quand les ans ont augmenté sa force,
Quand son tronc est muni d’une plus dure écorce,
L’arbre fruitier, sans nous, s’élève dans les airs ;
Sans nous, mille arbrisseaux de leurs fruits sont couverts.
Sur le buisson inculte on voit rougir la mûre,
Et l’abri des oiseaux donne aussi leur pâture.
Que d’arbres en tous lieux multipliés par nous !
Ah ! Du moins plantez-les, puisqu’ils croissent sans vous.
Pour nos jeunes chevreaux les aliziers fleurissent,
Du suc des pins altiers les flambeaux se nourrissent.
Mais pourquoi te parler de ces rois des forêts ?
Tout sert, même le saule et les humbles genêts ;
Le miel leur doit des sucs, les troupeaux du feuillage,
Les moissons des remparts, les pasteurs de l’ombrage.
J’aime et des sombres buis le lugubre coup d’œil,
Et de ces noirs sapins le vénérable deuil,
J’aime à voir ces forêts qui croissent sans culture,
Où l’art n’a point encor profané la nature :
Ces bois même, d’Athos enfants infructueux,
Et l’éternel jouet des vents impétueux,
Dans leur stérilité sont encore fertiles.
Pour former nos lambris leurs arbres sont utiles :
Ici, taillés en char, là, courbés en vaisseaux,
Ils roulent sur la terre, ils voguent sur les eaux.
Le saule prête aux ceps sa branche obéissante ;
L’orme donne aux troupeaux sa feuille nourrissante :
L’if en arc est ployé ; le cormier fait des dards ;
Le myrte de Vénus fournit des traits à Mars.
Le tilleul cependant cède au fer qui le creuse ;
Le buis, au gré du tour, prend une forme heureuse ;
L’aune léger fend l’onde ; et des jeunes essaims
Le vieux chêne en ses flancs recèle les larcins.