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Mais enfin, quand tu vois ses robustes rameaux
Par des nœuds redoublés embrasser les ormeaux,
Alors saisis le fer ; alors sans indulgence
De la sève égarée arrête la licence ;
Borne des jets errants l’essor présomptueux,
Et des pampres touffus le luxe infructueux.
Surtout que de buissons la vigne environnée
Evite des troupeaux la dent empoisonnée ;
Que la génisse avide et les chevreaux gloutons
Respectent sa faiblesse et ses jeunes boutons :
L’hiver dont les frimas engourdissent la terre,
L’été qui fend la plaine et qui brûle la pierre,
Lui seraient moins cruels que ces vils animaux,
Dont la dent déshonore et flétrit ses rameaux.
Aussi le dieu du vin, pour expier ce crime,
Partout sur ses autels veut un bouc pour victime :
Un bouc était le prix de ces grossiers acteurs
Qui, de nos jeux brillants barbares inventeurs,
Sur un char mal orné promenaient dans l’Attique
Leurs théâtres errants et leur scène rustique ;
Et, de joie et de vin à la fois enivrés,
Sur des outres glissants bondissaient dans les prés.
Nos Latins, à leur tour, ont des fils de la Grèce
Transporté dans leurs jeux la bachique allégresse :
Ils se forment d’écorce un visage hideux,
Entonnent pour Bacchus des vers grossiers comme eux ;
Et de l’objet sacré de leurs bruyants hommages
Suspendent à des pins les mobiles images.
Soudain l’aspect du dieu fertilise les monts,
Les arides coteaux, les humides vallons.
Gloire, honneur à ce dieu ! Célébrons ses mystères ;
Chantons pour lui les vers que lui chantaient nos pères ;
Qu’un bouc soit par la corne entraîné vers l’autel.
Préparons de ses chairs un festin solennel ;
Et que le coudrier, de ses branches sanglantes,
Perce de l’ennemi les entrailles fumantes.