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Turnus est repoussé ! » À ses clameurs se réveillent ceux dont les mères, saisies des transports de Bacchus et du délire d’Amate, promènent dans les bois écartés leurs vagabondes orgies. Accourus de toutes parts, ils se pressent, ils s’élancent, ils demandent des armes : « Guerre ! guerre implacable ! » s’écrient-ils d’une voix tonnante. Vœu fatal, que réprouvent et les présages contraires, et les arrêts du sort, et la colère céleste. Déjà tout un peuple irrité assiége les portes du vieux monarque : il résiste à tous les assauts. Ainsi le roc immobile, au sein des mers, se rit du fracas des orages, et, calme au milieu des flots courroucés, se soutient par sa propre masse. En vain, battus des ondes et blanchissans d’écume, ses écueils retentissent d’affreux murmures : brisées contre ses flancs, les vagues retombent et s’enfuient.

Mais enfin l’aveugle torrent menace de renverser ses digues, et la cruelle Junon maîtrise à son gré la fortune. Alors, attestant mille fois et le ciel et les dieux, le bon roi dit en soupirant : « Cédons, hélas ! les destins l’emportent, et la tempête nous entraîne. Ô malheureux Latins ! vous paierez un tel attentat de votre sang parjure. Toi, Turnus, le ciel réserve à ton forfait le salaire des impies ; et tes prières tardives n’apaiseront point les dieux. Pour moi, je touche à l’éternel repos ; la tombe est le port où j'aspire : je ne perds qu’un heureux trépas. » À ces mots, dévorant sa peine, il se retire au fond de ses demeures, et laisse flotter à l’abandon les rênes de l’empire.