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dans son désespoir, il maudit l’indigne tronçon qui lui reste, il maudit sa main désarmée. On dit qu’en ses transports aveugles, quand il se précipita sur son char pour courir au combat, l’impétueux guerrier saisit imprudemment, au lieu du glaive de son père, l’épée du vieux Métiscus. Tant qu’elle n’eut à frapper que des hordes fugitives, cette épée suffit au héros : mais lorsqu’il fallut s’essayer contre l’armure divine forgée par Vulcain même, le fer mortel se rompit aussitôt comme un cristal fragile : ses vains éclats brillent épars sur l’homicide arène.

Turnus fuit donc éperdu : égaré dans la plaine, il va, revient encore sur ses pas ; et dans sa course vagabonde, il décrit au hasard mille détours incertains. D’un côté, les Troyens formés en cercle épais lui ferment le passage ; de l’autre, un vaste marais l’arrête ; plus loin, s’étendent devant lui les barrières de Laurente. Énée vole sur ses traces : faibles encore de sa blessure récente, parfois ses genoux fléchissent et servent mal son ardeur ; mais son courage le ranime ; et, dans leur bouillant essor, ses pieds touchent les pieds du Rutule aux abois. Tel le chien du chasseur, s’il a surpris un cerf, arrêté par un fleuve sinueux, ou saisi de frayeur à l’aspect d’un filet garni de plumes pourprées, il le poursuit sans relâche, il le presse de ses longs aboiemens : l’animal timide, qu’épouvantent tour à tour la toile captieuse et la rive escarpée, s’échappe en détours tortueux, et refait mille fois le chemin qu’il a fait : cependant, acharné sur sa proie, l’ardent limier la suit gueule béante ; il la touche, il semble la saisir, et l’on