Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres VII-XII.djvu/329

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ténébreuses. Trois fois les phalanges plaintives, revêtues d’armes étincelantes, font en gémissant le tour des piles embrasées : trois fois les escadrons en deuil circulent tristement autour des brasiers funèbres, et poussent dans les airs de lugubres clameurs. Partout les larmes coulent ; ils en baignent la terre, ils en baignent leur armure : dans la nue se confondent et les cris des guerriers et le bruit des clairons. Les uns livrent aux flammes les dépouilles arrachées aux Latins qu’a frappés la victoire, des casques, de riches épées, des freins d’or, des roues au vol brûlant : d’autres y jettent des offrandes, hélas ! trop connues, le bouclier du vainqueur enseveli dans son triomphe, et ses traits malheureux qu’a trahis la fortune. Des taureaux sans nombre expirent, alentour des bûchers, sous le couteau du sacrificateur : et le porc immonde, et la brebis bêlante, enlevés ensemble aux vastes campagnes, arrosent de leur sang confondu les flammes funéraires. Rangée sur l’immense rivage, l’armée contemple avec douleur ses héros que le feu consume ; elle veille auprès de leurs cendres ardentes ; et rien ne peut l’en arracher, jusqu’à l’heure où la nuit humide vient parsemer l’Olympe de brillantes étoiles.

Non moins religieux, les infortunés Latins ont dressé dans la plaine voisine d’innombrables bûchers. Parmi leurs morts les plus illustres, les uns sont inhumés sur ces fatales rives ; les autres sont portés dans les champs d’alentour, et rendus aux cités prochaines : le reste, peuple confus de victimes obscures, est brûlé sans pompe et sans gloire. De toutes