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de la vie, cher Lausus, égara ma raison ? Ai-je bien pu souffrir que le seul gage de mon hymen s’offrît pour moi à l’homicide acier ? Quoi ! ton père n’a racheté ses jours qu’au prix de tout ton sang ! je vis, parce que tu meurs ! Ah, c’est maintenant, malheureux ! que mon exil enfin m’accable ; c’est maintenant que mon cœur saigne d’une blessure profonde. N’était-ce point assez, ô mon fils ! que mon opprobre eût souillé ton honneur, que la haine allumée par mes crimes t’eût chassé du trône où siégeaient nos aïeux ? Sur moi seul auraient dû tonner les foudres de la patrie : mille fois j’aurais dû moi-même, me livrant au courroux des miens, expier par tous les genres de mort une vie de forfaits. Et je respire encore ! et je ne sors pas à l’instant d’un monde qui me déteste et que j’abhorre ! Oui, oui, j’en sortirai. »

À ces mots, il se dressa sur sa cuisse sanglante ; et malgré sa faiblesse, malgré sa plaie cruelle, soutenu par son désespoir, il demanda son coursier, ce coursier généreux, sa gloire dans les combats, sa consolation dans ses disgrâces, et qui toujours le ramena vainqueur du milieu des hasards. À sa tristesse, on dirait qu’il partage les chagrins de son maître : Mézence le ranime, et lui parle en ces termes : « Rhébé, nous avons assez long-temps vécu, si rien peut sembler long sur cette terre où tout passe. Un dernier triomphe nous appelle : il me faut aujourd’hui les dépouilles sanglantes et la tête d’Énée. Viens venger avec moi le trépas de Lausus. Ou nous vaincrons ensemble, ou nous périrons tous les deux : car ta fierté, sans doute, ne