Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres VII-XII.djvu/301

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déchirant les nues, la grêle bat nos sillons à coups précipités : soudain les champs sont déserts ; laboureurs, bergers, tout fuit, tout se disperse : le voyageur, caché sous un abri paisible, à l’ombre des arbres qui bordent le rivage, ou dans le creux d’une roche escarpée, laisse au loin les cieux fondre en pluie sur la terre, et, tranquille, attend que le soleil vainqueur ramène les travaux du jour. Tel, assailli d’un nuage de flèches, Énée brave, immobile, l’effort de l’orage ennemi : il attend que ce vain fracas cesse enfin de tonner. Et cependant il gourmande Lausus, c’est Lausus qu’il menace : « Arrête ! tu cours au trépas. Mesure mieux tes forces, et crois moins ta valeur. Jeune imprudent ! ton amour pour un père trompe ton courage. » Mais l’insensé n’écoute que son ardeur : déjà s’allume un affreux courroux dans l’âme du héros Troyen, et les Parques filent les derniers momens de Lausus. Énée lui porte dans les flancs sa foudroyante épée, et l’y plonge toute entière. L’acier fatal perce en même temps et le pavois, légère armure du jeune audacieux, et la tunique, dont sa tendre mère a tissu l’or flexible. Des flots de sang ont inondé son sein : sa vie s’exhale dans les airs ; et son âme affligée, abandonnant son corps, s’enfuit tristement chez les ombres.

À la vue du guerrier mourant, à la vue de ce front si doux que décolore la pâleur, le fils d’Anchise attendri pousse un profond soupir : il tend la main à sa victime, et la touchante image de la piété filiale le fait souvenir qu’il est père. « Infortuné jeune homme ! dit-il ; que peut aujourd’hui faire Énée