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ciel ; et sa dernière pensée, en mourant, est pour sa chère Argos.

À son tour, le pieux Troyen lance son javelot. Le fer aigu traverse le triple airain du pesant bouclier, traverse la triple toile et les trois cuirs épais dont l’orbe immense est recouvert, et pénètre encore dans la cuisse du guerrier : là seulement expire sa vigueur amortie. Le sang du Tyrrhénien a trahi sa blessure : Énée le voit, Énée triomphe ; et, tirant aussitôt le glaive dont ses flancs sont armés, il fond comme la foudre sur son ennemi pâlissant. À cet aspect, Lausus pousse un cri d’effroi ; tout son cœur s’est ému pour un père qu’il chérit, et des pleurs coulent de ses yeux. Jeune héros ! mes chants ne tairont point ici ta chute déplorable, ton dévouement sublime ; et, si les siècles à venir peuvent croire à tant de vertu, ta gloire vivra d’âge en âge, célébrée dans mes vers.

Le fier Mézence, reculant malgré lui, s’éloignait lentement ; et faible, embarrassé dans ses armes, traînait à son bouclier le poids de la lance ennemie. Le jeune guerrier s’élance ; il se jette entre les deux rivaux : et lorsque Énée, levant déjà le bras, allait porter le coup mortel, il se présente lui-même au glaive homicide ; et, détournant la tempête, ose en soutenir la furie. Les Latins applaudissent par des cris redoublés : pendant que ce fils généreux protège de son bouclier la retraite d’un père, ils font pleuvoir sur le vainqueur mille dards à la fois, et le fatiguent au loin de leurs traits conjurés. Énée dévore sa colère, et se tient caché sous ses armes. Ainsi, quand