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le glaive de la mort ? Ah ! je vois d’ici le fer poursuivre leur troupe éperdue ; j’entends le cri des victimes que fait tomber le coup fatal. Que devenir ? où me cacher ? dans quel abîme assez profond, ô terre ! ensevelir ma honte ? Vous du moins, vous, ayez pitié d’un malheureux. Vents cruels ! jetez, brisez ma nef sur les rochers, sur les écueils ; Turnus lui-même vous en conjure ! qu’elle périsse, engloutie dans des sables sans fond, parmi les Syrtes inaccessibles, partout, hélas ! où ne puissent pénétrer ni le nom des Rutules, ni le bruit de mon déshonneur. »

Tel son courroux s’exhale ; et son âme agitée roule cent projets divers. Doit-il, pour expier l’affront qui fait son désespoir, tourner contre lui-même la pointe de son glaive, et la plonger sanglante dans ses flancs déchirés ? Doit-il se précipiter au milieu des flots, regagner à la nage la terre au loin perdue, et courir affronter encore le fer meurtrier des Troyens ? Trois fois il tente et l’une et l’autre voie : trois fois la puissante Junon l’arrête ; et la pitié de la déesse réprime la fougue du guerrier. Il vogue, il fend les mers, favorisé des zéphyrs et de l’onde, et touche enfin aux murs antiques du vieux Daunus, son père.

Mais, poussé par Jupiter, le farouche Mézence ranime le combat, et fond sur les Troyens triomphans. Sur lui fondent à leur tour les rangs serrés des Étrusques : tous le pressent à la fois ; c’est lui seul que cherche leur haine, lui seul qu’assiège la grêle de leurs traits. Telle qu’une roche sourcilleuse qui pend sur l’humide abîme ; en butte à la furie des vents, et battue par les vagues, elle soutient les