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jours à compter !… Mais non ; l’infortuné court à son terme funeste, ou je lis mal dans l’avenir. Que ne suis-je, hélas ! le jouet de fausses alarmes ! et vous, arbitre des destinées, ô puissiez-vous adoucir la rigueur de vos décrets ! »

En achevant ces mots, elle s’élance tout à coup des célestes demeures, s’enveloppe d’un nuage sombre, et, traversant les airs, pareille à la tempête, vole aux champs où la mort moissonne et les phalanges de Pergame et les bataillons de Laurente. Là, soudain, la déesse, condensant une vapeur légère, en forme un vain simulacre, trompeuse image d’Énée : le fantôme, ô prodige ! resplendit, paré des armes phrygiennes ; c’est le bouclier d’or du fils d’Anchise, c’est l’aigrette de son front divin : sa voix, bruit mensonger, s’exhale en discours fantastiques, éclate en sons sans idées ; et sa fière contenance imite celle du héros troyen. Telles on peint les ombres voltigeant autour des tombeaux ; tels encore les songes imposteurs se jouent de nos sens assoupis. Le faux Énée, d’un air audacieux, vient affronter les premiers rangs ; ses traits ont provoqué Turnus, et ses menaces le défient. Turnus fond irrité sur ce rival imaginaire, et lui lance un javelot qui fend l’air en sifflant : le fantôme tourne le dos, et s’éloigne d’un pas rapide. À cet aspect, Turnus triomphe ; il croit qu’Énée tremblant recule devant lui, et son orgueil s’enivre d’un chimérique espoir : « Où fuis-tu, redoutable Énée ? Abandonnes-tu sitôt une épouse promise ? Arrête ! ce bras veut te livrer la terre tant cherchée par toi sur les ondes. » Ainsi frappant