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sur le couple ennemi. Pendant que Lucagus, incliné sur les rênes, aiguillonne, le dard en main, ses chevaux haletans, et qu’avançant un pied sur le timon rapide, il s’apprête au combat ; le trait siffle, perce le bord inférieur du pavois brillant qu’il atteint, et pénètre tout entier dans le flanc du Rutule. Renversé de son char, il roule et meurt sur la poussière. Alors, le sage Énée, s’abaissant au sarcasme : « Lucagus, ce ne sont point tes coursiers dont la fuite trop lente a trahi le vol de ton char ; un vain fantôme ne les a point égarés loin des rangs ennemis : toi-même, en te précipitant des roues, abandonnas les rênes. » Il dit, et s’empare à l’instant des guides. Tombé du même char, le malheureux Liger tendait au fils d’Anchise une main désarmée : « Ah ! par toi, disait-il, par les auteurs de tes jours glorieux ! Troyen magnanime, daigne me laisser vivre, et prends pitié d’un suppliant ! » Énée l’interrompt tout à coup : « Ce n’était pas ainsi que tu parlais tantôt. Meurs ; et, frère inséparable, va rejoindre ton frère. » Le glaive, à ces mots, déchire le sein du lâche, et chasse pour jamais son âme de sa demeure ténébreuse.

Ainsi le héros phrygien couvrait les champs de funérailles, non moins terrible en sa fureur qu’un torrent débordé, ou qu’un noir tourbillon. Et cependant, vainqueurs eux-mêmes des faibles bandes qui les assiègent, le jeune Ascagne et ses guerriers ont franchi les murs de leur camp, et se déploient dans la plaine. Tandis que Mars échauffe la mêlée, Jupiter adresse à Junon cette amère ironie : « Eh !