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pensée quels braves il doit conduire au périlleux rivage, quels autres il doit laisser en armes autour des remparts assiégés.

Cependant Énée commande ; et, du haut des poupes escarpées, des ponts mobiles descendent ses soldats. Plusieurs observent l’instant propice où le flot languissant abandonne la rive ; et sur le sable aride, ils s’élancent d’un bond léger. D’autres se glissent le long des rames. Tarchon, l’œil fixé sur la côte, croit voir une anse pacifique, où l’onde ne cache pas d’écueils et ne se brise point en mugissant, mais où la mer, balancée mollement, s’enfle et décroît sans courroux : il y tourne à l’instant ses voiles, et, pressant la manœuvre : « Allons, braves amis, courbez-vous tout entiers sur vos lourds avirons ; enlevez, portez vos galères : fendez de l’éperon cette plage ennemie, et que la carène même s’y creuse un large sillon. Dût ma proue fracassée voler en éclats sur la rive, pourvu que j’aborde, il suffit. » À peine il a parlé, tous à l’envi se dressent sur leurs rames, et poussent leurs vaisseaux écumans sur la rive avancée. Le bec tranchant des nefs déchire au loin la terre, et leur carène sans dommage vient s’asseoir sur l’arène. Ta poupe seule fut moins heureuse, ô Tarchon ! engagée dans des sables perfides, et pendante sur leur dos inégal, long-temps elle chancelle, se relève et retombe, et fatigue vainement les flots : enfin elle s’entr’ouvre, et livre à la merci des vagues les malheureux qui la montaient. À travers les débris des rames et les bancs qui surnagent, ils cherchent péniblement le bord, et l’onde qui reflue les repousse vers l’abîme.