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Déjà le Latium se glorifie d’un autre Achille, né d'une autre déesse ; et, furie de ton peuple, Junon l’y poursuivra partout. Malheureux ! quels secours ne mendiera point ta détresse ! quelle ville, quel coin de l’Italie, ne te verra point suppliant ! la cause de tant de maux, c’est encore une reine étrangère, encore un hymen étranger. Toi, ne cède point à l’orage : oppose la constance aux revers, et laisse à ta fortune le soin de calmer les tempêtes. Le premier rayon du bonheur luira d’un astre inespéré : la Grèce va conspirer pour Troie. »

Ainsi sur le trépied, la prêtresse de Cumes proclame de redoutables mystères, et mugit dans son antre, enveloppant de ténèbres les vérités qu’elle annonce : ainsi le dieu qui l’obsède aiguillonne son âme et stimule ses fureurs. Enfin son délire cesse, et sa rage est tombée. Le prince alors rompt le silence : « Vierge sainte, les menaces de l’avenir n’ont rien qui m’épouvante. J’ai prévu l’heure des périls, et mon courage averti saura les affronter. Mais j’implore une faveur. Puisque ces chemins conduisent au palais du dieu des enfers, et que ces lugubres marais sont un reflux de l’Achéron : oh ! qu’il me soit permis de visiter le noir empire, d’y chercher la présence d’un père et ses embrassemens si doux ! Enseigne-moi la route, ouvre-moi les sombres barrières. Ce père chéri, on m’a vu, courbé sous son poids, le disputer aux flammes, aux traits sifflant sur ma tête, et l’arracher vivant à la fureur des Grecs. Lui, compagnon de mes labeurs, il m’a suivi de mers en mers ; et sur les flots grondans, sous un ciel