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Dans le vaste flanc des roches Eubéennes se creuse un profond manoir, où mènent cent larges soupiraux, cent portes mystérieuses, et d’où sortent, par cent bouches tonnantes, les réponses de la Sibylle. Arrivée sur le seuil, « Il est temps de consulter le sort, dit la vierge inspirée ; voici, voici le dieu !… » Ainsi préludaient ses accens, à l’entrée de l’auguste enceinte. Tout à coup ses traits changent, son front pâlit, ses cheveux se hérissent. Haletante, éperdue, elle respire à peine. Son sein palpite et se gonfle de rage ; sa taille semble grandir ; sa voix n’est plus d’une mortelle : c’est Apollon lui-même qui la pénètre de son souffle et la remplit de sa présence. « Tu tardes, Énée ! tu tardes ? s’écrie-t-elle. Que ta prière monte enfin vers les cieux, autrement ne s’ouvriront point les portes formidables du prophétique sanctuaire. » Elle se tait à ces mots. Les Troyens frémissent d’un religieux effroi ; et le prince élève alors son âme vers la divinité :

« Toi que trouvèrent toujours sensible les désastres de la Phrygie ; toi qui, des murs de Dardanus, guidas la flèche de Paris dans les flancs du fier Éacide ; c’est sous tes auspices, ô Phébus ! que j’ai sillonné tant de mers, humide ceinture du monde ; que j’ai poussé mes courses jusqu’aux peuplades lointaines des Massyliens, jusqu’en ces contrées sauvages qu’environnent les Syrtes perfides. Enfin nous occupons les rivages de la fugitive Italie. Que sur ces bords, du moins, la fortune de Troie se lasse de nous poursuivre. Vous aussi, vous tous, dieux et déesses qu’offensèrent la grandeur d’Ilion et sa gloire importune ! épargnez, après sa chute,