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À ces mots, donnant l’exemple, elle saisit brusquement un brandon allumé, en secoue dans les airs la flamme étincelante, et, d’un bras que la rage anime, le lance au milieu de la flotte. Les Troyennes étonnées pâlissent, et leur cœur s’est serré de crainte. Mais Pyrgo les rassure, Pyrgo, vénérable entre toutes par sa longue vieillesse, Pyrgo, royale nourrice des nombreux enfans de Priam. « Non, ce n’est point là Béroë ; ce n’est pas cette simple mortelle que le Rhéthée vit naître, et que Dorycle eut pour épouse. Tant d’éclat trahit une déesse. Voyez le feu de ces regards ! voyez cette noble fierté ! Quel front majestueux ! quel céleste organe ! quelle auguste démarche ! Moi-même je quitte à l’instant Béroë : faible et languissante, elle gémit de manquer seule à ces pompes funèbres, et de ne pouvoir offrir ses religieux hommages aux mânes du grand Anchise. » Elle dit ; ses compagnes, d’abord incertaines, roulent sur les vaisseaux des yeux sombres et sinistres : elles balancent, partagées entre l’indigne attrait d’un asyle présent, et l’espoir d’un empire promis par les destins. Tandis qu’elles doutaient encore, Iris, déployant tout à coup ses ailes, remonte dans l’Olympe, et trace en fuyant sous les nues un immense sillon de lumière. Alors frappée d’un tel prodige, et transportée d’une fureur subite, la troupe égarée jette d’horribles clameurs, ravit les feux du sacrifice, pille les autels décorés de verdure, et fait voler sur les navires leur dépouille embrasée. La flamme rapide circule de nef en nef, et dévore en courant les bancs, les rames, les poupes et leurs peintures.