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et ses fils. La déesse, ainsi déguisée, se mêle au groupe gémissant : « Malheureuses ! s’écrie-t-elle ; ah ! plût aux dieux que la fureur des Grecs nous eût traînées à la mort sous nos murs désolés ! Ô déplorable peuple ! à quel désastre nouveau es-tu donc réservé ? Déjà sept hivers ont passé sur les cendres de Troie ; et depuis sept hivers, égarées sur les eaux, poussées de rivage en rivage, nous luttons sans cesse contre des rocs affreux, sans cesse nous errons de climats en climats ; depuis sept hivers, éternel jouet des tempêtes, nous poursuivons de mers en mers l’Hespérie fugitive, et les vagues mugissantes roulent au loin nos débris. Voici la terre fraternelle du grand Éryx, la terre hospitalière du généreux Aceste : pourquoi n’y pas fonder une ville nouvelle, n’y pas fixer enfin le terme de notre exil ? Douce patrie ! dieux d’Ilion, sauvés en vain des flammes ! ne verrons-nous jamais s’élever une seconde Troie ? Ô Xanthe ! ô Simoïs ! ô fleuves chéris d’Hector ! ne vous retrouverai-je, hélas ! en aucun lieu du monde ?… Ah ! plutôt suivez-moi ; courons embraser ensemble ces poupes odieuses. J’ai vu, j’ai vu, cette nuit même, en songe, Cassandre apparaître à mes yeux : son ombre inspirée m’armait de torches ardentes ; sa voix tonnante me criait : « C’est ici qu’est Pergame ; le sort marque ici vos demeures… » Le ciel parle, hâtons-nous ; l’oracle a parlé : obéissons. Voyez-vous ces quatre autels fumant en l’honneur de Neptune ? un dieu même nous offre ces feux vengeurs ; un dieu remplit mon âme d’une audace inconnue. »