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pâles clartés de la lune, et qu’abreuve un suc vénéneux : elle y mêle ce philtre puissant, l’hippomane, recueilli sur le front d’un coursier naissant, et que l’acier ravit à l’amour de sa mère. Didon elle-même, Didon, auprès des autels, un pied nu, la robe sans ceinture, tient d’une main tremblante la farine et le sel : près de sa dernière heure, elle atteste et les dieux et les astres témoins de son sort lamentable ; et si quelque divinité propice prend pitié des amans trahis, elle en implore la justice et la vengeance éternelle.

La nuit régnait ; et Morphée, planant sur la terre, versait aux mortels fatigués ses tranquilles pavots. Les bois étaient muets, les mers immobiles. C’était l’heure où les astres atteignent dans les cieux la moitié de leur course, l’heure où les campagnes reposent dans une paix profonde. Les troupeaux mugissans, et le peuple émaillé des airs, et l’humide habitant des lacs, et l’hôte des forêts sauvages, dormaient ensevelis dans l’ombre silencieuse : partout un calme heureux adoucissait les peines, et charmait les douleurs. Mais Didon…l’infortunée veille et soupire. Le doux sommeil ne vient plus rafraîchir ses sens : pour ses yeux, pour son cœur, il n’est plus de paisibles nuits. Son martyre s’accroît dans les ténèbres : alors s’éveillant plus terrible, son amour se change en fureur, et son âme agitée bouillonne d’un long courroux. Ainsi fermente son délire, ainsi roulent dans son esprit ses pensées tumultueuses. « Que ferai-je ? Dois-je, au risque d’un nouvel outrage, recourir à mes premiers amans ? Dois-je, humble et suppliante, mendier l’hymen de ces Nomades, dont j’ai tant de fois