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malgré moi que j’ai recours aux efforts d’un pouvoir magique. Toi donc, va sans témoins ; et, dans l’intérieur du palais, à la face du ciel, dresse en silence l’appareil d’un bûcher ; que tes mains y placent les armes du cruel, ces armes qu’il laissa suspendues près de sa couche impie ; que toutes les dépouilles du parjure, que ce lit nuptial, tombeau de ma vertu, y soient déposés par tes soins : périsse dans les flammes tout ce qui reste du barbare ! ainsi le veut, ainsi l’ordonne la prêtresse. »

À ces mots, elle s’arrête : une morne pâleur couvre à l’instant son visage. Anne est loin de croire que sous le voile de ces nouveaux mystères, sa sœur médite son trépas : son âme paisible ne soupçonne point tant de fureurs, et n’attend rien de plus tragique qu’aux funérailles de Sychée. Elle court donc accomplir les ordres de Didon.

Cependant au fond d’une enceinte écartée, sous un ciel découvert, un vaste bûcher s’élève, formé de pins résineux et de longs éclats de chêne. La reine tapisse de cyprès les murs solitaires qui l’entourent, et les couronne de guirlandes funèbres. Sur le lit fatal, elle dispose et les vêtemens de l’ingrat, et son image et son épée, complices muets de son funeste dessein. À l’entour sont dressés des autels ; et, les cheveux épars, trois fois la prêtresse invoque d’une voix tonnante les dominations des enfers : elle invoque et l’Érèbe et le Chaos, Hécate au triple front, Diane au triple visage. Puis elle épanche une eau livide, noir simulacre des ondes de l’Averne : elle y mêle ces herbes au duvet immonde que des faux d’airain moissonnèrent aux