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de ma vertu. À qui m’abandonnes-tu mourante, cher hôte ! car ce nom seul me reste d’un époux trop aimé. Que faut-il que j’attende ? qu’un frère impie, l’odieux Pygmalion, mette mon palais en cendres ? qu’Iarbe, un Gétule, m’entraîne captive à son char ? Encore si tu me laissais, en fuyant, quelque heureux gage de nos feux ! si je voyais folâtrer dans ma cour un jeune rejeton d’Énée, dont les traits du moins me rendissent ton image ! non, je ne me croirais pas entièrement trahie, entièrement délaissée. »

Ainsi parlait Didon. Le héros, plein de l’ordre des dieux, tenait fixés vers la terre ses regards immobiles, et, s’armant de courage, étouffait dans son âme les murmures de l’amour. Enfin rompant le silence : « Oui, Reine, vos bienfaits ont surpassé mon attente ; et vous pourriez à peine les dénombrer vous même. Je ne les oublierai jamais ; jamais la mémoire d’Élise ne cessera de m’être chère, tant que mes yeux verront le jour, tant qu’un souffle de vie fera battre mon cœur. Vous m’accusez ; daignez m’entendre. Non, je ne méditais pas un départ clandestin : loin de vous cet indigne soupçon ! mais je n’ai point brigué l’honneur d’un hymen qui n’était pas le but de mon voyage. Si les destins me permettaient de diriger ma vie au gré de mes désirs, et de terminer selon mes vœux les soins qui m’agitent ; fidèle à Troie, aux doux restes des miens, j’irais, j’irais revoir les bords du Simoïs ; le palais de Priam renaîtrait de sa cendre ; et ma main, ressuscitant Pergame, la