Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/229

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

approcher de ces bords. Quelques dangers qu’elle m’apportât peut-être, j’ai couru l’implorer : trop heureux d’échapper enfin à cette race effroyable ! Je vous en conjure de nouveau ! donnez-moi le trépas, plutôt que de m’abandonner à l’horreur de mon sort ! »

Il achevait à peine, quand tout à coup s’offre à nos yeux sur les hauteurs voisines Polyphême lui-même avec sa taille démesurée ; Polyphême, cheminant tel qu’une tour ambulante au milieu de ses troupeaux, et dirigeant sa lourde masse vers les rivages accoutumés : monstre horrible, informe, immense, que son œil arraché rend plus hideux encore. Un pin tronqué lui sert d’appui, et soutient ses pas chancelans. Ses brebis l’accompagnent, seule joie qui lui reste, unique charme de ses maux. Arrivé près du rivage, il s’avance au milieu des mers, et lave, penché sur l’onde, le sang qui découle de sa blessure. Ses dents grincent de douleur et de rage. Déjà son pied touche aux plus profonds abîmes, et les vagues n’ont point encore blanchi la hauteur de ses flancs. Nous, glacés de crainte, ne songeant plus qu’à fuir, nous recueillons l’infortuné qui nous sauva nous-mêmes ; et coupant les câbles en silence, courbés sur l’agile aviron, nous fendons à l’envi le gouffre écumant des eaux.

Polyphême entend le bruit des rames, et s’élance vers sa proie. Mais ses bras qu’il allonge ne saisissent que l’air ; et les courans qui nous entraînent, nous dérobent à sa poursuite. Alors il pousse un cri terrible : l’Océan et tous ses flots en sont émus : l’Italie