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Pas un astre ne luit sous la voûte éthérée, pas un rayon n’y brille ; mais de sombres brouillards ont enveloppé l’olympe ; et la lune, obscurcie par une ombre jalouse, nous dérobe sa clarté.

Enfin l’étoile du matin ramenait un nouveau jour ; et l’aurore, chassant les ténèbres, épurait l’humide atmosphère. Tout à coup sort du fond des bois un spectre à face humaine, pâle, desséché de maigreur, et couvert de hideux lambeaux. Il s’avance vers le rivage, et nous tend des mains suppliantes. Nous regardons : tout son corps est souillé de fange, sa longue barbe descend sur sa poitrine ; des épines rattachent les débris de sa robe ; le reste annonce un Grec, et jadis il marcha contre Pergame sous les bannières de l’Aulide.

Dès qu’il a reconnu de loin les couleurs phrygiennes et les armes de Troie, saisi de crainte, il hésite un moment à cet aspect, et demeure immobile. Mais bientôt il s’élance vers la flotte, le visage inondé de larmes, et nous implore avec de longs sanglots : « Au nom des dieux que j’atteste ! par ce soleil, flambeau du monde ! par sa douce lumière, dont je jouis encore ! je vous en conjure, ô Troyens ! arrachez moi d’ici ; traînez-moi, j’y consens, aux déserts les plus lointains ; que je fuie, hélas ! c’est assez. Je sais que les nefs de Mycènes m’ont vomi sur vos bords ; j’ai porté la guerre, je l’avoue, dans les murs d’Ilion. Eh ! bien, s’il n’est point de grâce pour de tels attentats, déchirez, dispersez mes membres, précipitez-moi dans l’abîme des mers : mourant de la main des hommes, je mourrai satisfait ». Il