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des morts, épargne un crime à tes mains vertueuses. Je ne te suis pas étranger ; Troie fut aussi mon berceau ; et le sang que tu vois ne coule point d’un tronc insensible. Ah ! fuis ces bords cruels, fuis ces contrées avares. Je suis Polydore. Ici même, percé de mille coups, j’expirai sous une forêt de javelots ; et ces dards homicides ont pris racine sur ma tombe. »

À ces mots, la crainte, la stupeur, me rendent immobile : mes cheveux se dressent, et ma langue est muette. Polydore était fils de Priam. Ce malheureux père l’envoya jeune encore, et chargé de trésors immenses, chercher un secret asyle à la cour du roi de Thrace. Hélas ! il pressentait déjà les calamités de l’empire, et ne voyait pas sans terreur la Grèce autour de nos remparts. Le perfide Polymnestor, à peine instruit de nos revers, change avec le sort, suit la fortune d’Agamemnon, et s’attache au char du vainqueur. Que dis-je ? il rompt les nœuds les plus saints, massacre Polydore, et s’empare de ses richesses. Exécrable soif de l’or, à quels forfaits ne pousses-tu pas les mortels ! Mon premier effroi dissipé, j’assemble les princes de Pergame, et mon père à leur tête ; je leur raconte le prodige que le ciel m’a fait voir, et je consulte leur sagesse. Un cri commun se fait entendre : « Abjurons un séjour impie, arrachons-nous à des hôtes parricides, et livrons nos poupes à la merci des vents ! » Mais Polydore réclame les honneurs dus à ses cendres. On élève, sur le sable qui le couvre, un humble mausolée ; on érige à ses Mânes des autels funèbres, tristement ornés de sombres