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image, agrandie d’une taille plus qu’humaine. Je recule d’effroi : mes cheveux se dressent : la parole meurt sur mes lèvres. L’ombre alors me rassure, et suspend du moins mes douleurs par ce touchant langage : « Pourquoi te livrer, cher époux, à d’aveugles transports ? Ce n’est pas sans l’aveu du ciel que cette heure fatale nous sépare. Il ne t’est plus permis d’avoir Créuse pour compagne : ainsi le destin l’ordonne, ainsi le veut le dieu suprême qui règne sur l’Olympe. Un long exil doit éprouver ta constance, et de vastes mers blanchiront sous tes nefs vagabondes. L’Hespérie sera le terme de tes courses, l’Hespérie terre fortunée, où le Tybre promène en paix ses ondes, à travers de fertiles campagnes et des cités florissantes. C’est là que le sort te réserve des jours prospères, un trône, un royal hyménée. Cesse de pleurer ta fidèle Créuse. Non, je ne verrai pas les demeures superbes des Myrmidons ou des Dolopes ; on ne me verra point, humble captive, subir l’orgueil des femmes de la Grèce, moi noble sang de Dardanus, moi noble épouse du fils de Cythérée. L’auguste mère des dieux me retient sur ces bords ; reçois mes derniers adieux ; et chéris à jamais l’heureux gage de nos amours. »

Elle dit ; et quand, baigné de larmes, j’allais lui peindre tous mes regrets, elle fuit, et disparaît dans le vague des airs. Trois fois j’ouvre les bras, pour la presser contre mon sein : trois fois le vain simulacre échappe à mes embrassemens, pareil aux vents légers, semblable au songe qui s’envole. Cependant la nuit achevait son tour, et je rejoins mes compagnons.