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a-t-elle bien pu me l’ordonner ! s’il plaît aux dieux que rien ne reste d’un si puissant empire, si c’est l’arrêt de leur colère ; si vous avez juré vous-même de joindre aux cendres d’Ilion votre cendre et la nôtre ; eh bien ! la mort est à vos portes : bientôt Pyrrhus va paraître, Pyrrhus, tout souillé du sang de Priam, Pyrrhus, qui massacre le fils aux yeux du père, et le père aux pieds des autels. Voilà donc, ô Déesse, ô ma mère ! voilà pourquoi tu m’as sauvé du milieu des dards et des flammes ! Je verrai ces lambris en proie aux ravages des Grecs ! je verrai mon épouse, mon père, mon fils, l’un sur l’autre égorgés, noyés dans le sang l’un de l’autre ! Des armes, compagnons, des armes ! la dernière heure appelle les vaincus. Allons braver Mycènes, allons rallumer les combats. Nous ne mourrons pas tous aujourd’hui sans vengeance. »

À ces mots, je ceins de nouveau mon glaive ; et saisissant mon bouclier, je m’élançais déjà loin du toit domestique. Mais tremblante, éperdue, Créuse m’arrête sur le seuil, elle embrasse mes genoux ; et me présentant le jeune Iule : « Si tu cours à la mort, traînes-y donc sur tes pas ta malheureuse famille ; ou si ta vaillance compte encore sur ton épée, défends d’abord l’asyle qui nous rassemble. Sans toi que deviendront, cruel, un faible enfant, un vieillard sans appui ? Que deviendra l’infortunée, que tu nommais jadis, hélas ! ton épouse chérie ? »

Ainsi Créuse gémissante remplissait au loin les portiques de ses accens lamentables : tout à coup un prodige inattendu vient accroître nos terreurs. Tandis