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à tempérer par quelque adoucissement l’austère frugalité de la table commune. Ainsi s’accroissait insensiblement sa petite bibliothèque des privations qu’il savait déjà s’imposer, pour satisfaire cet insatiable besoin de s’instruire, noble passion de l’homme de lettres.

Il n’avait encore que seize ans, et il faisait sa rhétorique, lorsque son talent pour la poésie se révéla tout à coup, non point par ces essais informes qui ne donnent rien pour le moment et promettent encore moins pour l’avenir, mais par des productions pleines de verve, de grâce et de fraîcheur. Les débuts poétiques du jeune De Guerle furent surtout remarquables par cette maturité de goût que l’on n’acquiert ordinairement qu’avec l’âge : ils désarmèrent la prudente sévérité des maîtres de Montaigu, qui, sagement en garde contre les méprises et les illusions de l’amour-propre, punissaient de mauvais vers comme on punissait ailleurs de mauvaises actions. Ils étaient trop éclairés toutefois pour se tromper sur la vocation de leur élève : ils fermèrent les yeux sur cette grave infraction à la discipline montacutienne ; et on lui pardonna de faire de beaux vers.

Ce goût ou plutôt cet irrésistible penchant de son esprit le suivit chez le procureur, où il entra au sortir du collége. Là, comme à Montaigu, il faisait des vers ; là, comme Boileau, Crébillon, et tant d’autres, Thémis le disputa vainement aux Muses ; et un poète de plus sortit de la poudre du greffe.

Cependant s’avançait à pas de géant cette fatale et