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qu’il s’opposait à la guerre, les Grecs l’envoyèrent à la mort : à présent qu’il n’est plus, ils versent des pleurs sur sa cendre. Associé par un père indigent au sort de ce grand homme, et né du sang dont il sortait lui-même, je vins sous sa conduite, au premier signal des combats, faire en ces champs l’essai de mon courage. Tant que l’envie n’osa l’atteindre au faîte des honneurs, tant que sa haute sagesse régna dans le conseil de nos rois, je pus me vanter moi-même d’un peu d’éclat et de quelque puissance. Mais depuis que la haine du fallacieux Ulysse (le monde, hélas ! est plein de cette histoire) eut précipité le héros dans la tombe ; navré de douleur, je traînais ma vie dans la solitude et les larmes, je détestais dans mon cœur la fin tragique d’un ami sans reproches. Insensé ! je ne sus pas me taire ; je jurai, si le destin me servait un jour, si jamais je rentrais vainqueur dans les murs paternels, je jurai de venger ses mânes ; et mes invectives allumèrent contre moi d’implacables ressentimens. Voilà l’origine de mes malheurs ; dès lors Ulysse, tourmenté par la conscience de son crime, ne cessa de m’épouvanter par d’atroces calomnies ; dès lors il affecta de semer parmi le peuple des bruits précurseurs de ma perte, et d’aiguiser le poignard dont il brûlait de me percer. Sa fureur n’eut point de repos, que par le ministère de Calchas…. Mais pourquoi vous fatiguer d’une plainte importune ? pourquoi retarder mes tourmens ? Si tous les Grecs méritent également votre colère, je suis Grec, il