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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

Les modes n’étaient guère que de quelques années en retard sur Paris. Car, depuis un certain temps et surtout sous l’influence de la jeune reine, la Suède, comme la plupart des pays d’Europe, avait adopté, avec un zèle plus ou moins heureux, les usages, les mœurs, la langue et les idées de la France. En art, en architecture, en costumes, en belles manières, en philosophie comme en poésie, on ne jurait que, par la France du petit roi Louis XIV, en ce qu’elle avait à ce moment-là de bon et de mauvais, de brillant et de faux, de charmeur et de corrompu. Et il n’y avait guère dans cet engouement général que quelques vieillards pour hocher la tête et regretter les simples vertus, un peu puritaines, de la vieille Suède.

Pourtant les femmes, moins coquettes et moins piquantes que les grandes dames de la Cour de France, offraient, pour la plupart, avec une fraîcheur intacte, une expression de douceur, de franchise et d’honnêteté que l’on trouve rarement dans les Cours. Et si leurs révérences étaient moins étudiées, si elles dansaient avec une grâce moins apprêtée, elles ne cachaient pas le vif plaisir qui animait leurs visages et faisait étinceler leurs yeux.

Quant aux hommes, hauts et larges comme des citadelles, ils étaient évidemment mieux à leur aise sur les champs de bataille que dans les salons. Parmi eux se trouvaient justement un certain nombre de jeunes officiers de l’Indelta, cette armée permanente de la Suède, en garnison dans les villes et bourgades, où les fils de la petite noblesse provinciale faisaient d’ordinaire leurs premières armes. Sanglés dans leurs uniformes, un peu lourds et gourds, ils étalaient une gaîté naïve et bruyante, massacrant sans pudeur les figures compliquées des « danses nobles » comme on appelait alors les menuets importés de France, et riant aux éclats.

Mais, dans cette fête donnée par la reine et en son honneur, où donc se trouvait Christine ? On ne la voyait nulle part, ni dans les salles où l’on dansait, ni dans les galeries où les invités se pressaient autour des tables chargées de viandes, de venaison, de pâtisseries.

Au début de la soirée, elle avait lentement traversé les salons, suivie du petit groupe de ses familiers, accueillant avec une affable dignité les hommages des hommes, les révérences des femmes, les