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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

Christine ralentit son élan et d’une voix émue :

— C’est une triste histoire, Ebba. Ma grand’mère, Christine de Holstein-Gottorp, qui m’a donné son nom, avait fait élever auprès d’elle une jeune fille noble, la comtesse Ebba Brahe. Celle-ci devint, dit-on, la plus belle des femmes de la Cour, comme mon père Gustave-Adolphe en était le plus beau des chevaliers. À dix-huit ans, ils s’aimèrent et en secret se promirent l’un à l’autre. Dans les lettres que, du champ de bataille, le jeune roi écrivait à sa fiancée secrète, il lui jurait un amour infini et une éternelle fidélité.

— Etre aimée par le grand Gustave-Adolphe !

Hélas ! Il n’est guère plus permis aux rois qu’aux reines d’aimer à leur guise. Ma grand’mère était orgueilleuse. Comme moi, d’ailleurs. Elle fit maintes fois comprendre à Ebba qu’une suivante ne pouvait prétendre à la couronne. Elle l’humilia, la traita d’intrigante, la persécuta. Elle invoqua surtout l’intérêt de la Suède qui exigeait, pour des raisons politiques et religieuses, le mariage de Gustave-Adolphe avec la princesse de Brandebourg. Ebba avait une âme fière et noble. Elle se sacrifia. Elle avait d’abord refusé le général Jacques de la Gardie qui est maintenant maréchal du royaume. Elle l’épousa. Quand mon père revint de la guerre, elle ne voulut jamais le revoir. Elle devint la plus dévouée des femmes et des mères. Elle ne voulut jamais non plus remettre les pieds à la Cour. Je ne la connais même pas. Un grand caractère !

— Comme elle a dû souffrir ! Et Gustave-Adolphe ? — Il tempêta d’abord, voulut tout casser, puis se consola en retournant à la guerre. Les hommes ont encore sur nous cet avantage de pouvoir distraire leur douleur. Puisqu’il ne pouvait vivre pour Ebba Brahe, au moins mourrait-il pour elle. Il ne mourut pas. Mais pendant plusieurs années, il montra, comme moi, une singulière aversion pour le mariage. C’est en vain que sa mère, le Conseil d’Etat, le peuple le conjurèrent de donner une reine au pays et un héritier au trône. Comme ils le font pour moi. Il résista longtemps. Mais son cœur n’était pas blesse à mort. Il se décida enfin à épouser ma mère Marie-Eléonore, et l’aima, sans illusions, sans trop de fidélité, mais avec tendresse. C’est ainsi que je vins au monde…