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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

large d’épaules dans son uniforme blanc soutaché d’or. Sa poitrine bombait comme un bouclier, sa voix sonnait comme une cloche d’airain. Je me disais : « À la bonne heure ! Notre petite reine aura un prince consort digne d’elle ! ».

— Quant à moi, il m’apparut épaissi, la face grossière et rubiconde. Malgré moi, je revoyais toujours le profil bestial accolé aux lèvres de la maritorne… Il me répugnait !…

— Il s’en rendait bien compte, le malheureux ! Il me fit la confidence de son amour et de son chagrin. C’était pendant le voyage que nous fîmes au cours de l’hiver 1646 au bord du lac Moelar… Vous en souvenez-vous, Christine ?

— Si je m’en souviens ! Ce seul nom me fait bondir le cœur, puis aussitôt ce pauvre cœur se serre et se déchire…

D’un bond, Christine se dressa, les yeux encore humides. Elle s’en alla décrocher au-dessus de la cheminée un petit pastel dans un cadre ovale. Le contemplant longuement avec tendresse, elle le serra sur sa poitrine comme un enfant, le flatta de la joue, puis le tendit à la jeune femme :

— Regarde bien ce portrait, Ebba. C’est l’image la plus heureuse de ton amie ! Vois ces cheveux : ils tombent toujours partagés en deux vagues autour de mon cou, mais ils sont bouclés avec grâce. Vois ces grands yeux pleins de rêve : avec quelle joyeuse confiance ils contemplent l’avenir ! Et cette bouche entr’ouverte comme pour le baiser… Et ce mystérieux sourire flottant sur tout le visage d’une chaude teinte ambrée, ne semble-t-il pas cacher un secret bonheur ! Regarde aussi cette guimpe blanche et plissée que ferme un étroit ruban de velours noir et ces larges manches tombant de mes épaules. La robe de mon amour ! Pour la première fois il y a de la coquetterie féminine dans ma toilette…

— Mais je le connais bien, ce portrait ! C’est six mois après mon arrivée qu’il fut peint par un artiste venu d’Angleterre, tout juste après notre retour de voyage…

— Oui, j’étais reine depuis un an, les États ayant décidé que j’étais digne de monter sur le trône à dix-neuf ans… Je revis souvent en pensée le jour de mon avènement. Un beau jour d’hiver. Toutes les cloches sonnaient et carillonnaient. La foule sous mes fenêtres criait