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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

Mais la jeune femme dont le tendre visage et les cheveux blonds étaient capricieusement éclairés par les flammes, apparaissait inquiète, troublée. Elle songeait à l’ardente amitié de la reine qui, malgré des brusqueries et des boutades, ne s’était jamais démentie. Comme, dès le premier jour, elle l’avait aimée, entourée, protégée et avec quelle fidélité ! Allait-elle abandonner cette incomparable amie ? La laisser partir seule pour les pays lointains ?

Mais, d’autre part, où la fantasque Christine l’entraînerait-elle ?

Elle pensait également, avec non moins de tourment, à son mari Jacob de la Gardie, à l’amour brûlant, jaloux, dont il la comblait. Elle se rappelait le jour où, la rencontrant dans un couloir, il l’avait enlacée avec violence, en jurant de la prendre pour femme. C’était peu de temps après son arrivée à la Cour. Épeurée, tremblante, elle s’était enfuie vers Christine, jetée dans ses bras en pleurant :

— Cet homme est bien effronté de vouloir séduire ma fille d’honneur sous mon toit ! Qu’il aille au diable ! s’écria la reine.

Mais Ebba n’avait pu oublier la voix mâle, la rude étreinte. Après tant d’années, elle frémissait encore à ce souvenir. Le chevalier de son côté n’avait point cessé sa poursuite. Et la reine, par tendresse pour Ebba, avait enfin cédé devant ce double amour. Jacob avait emporté sa proie fragile et charmée dans son château, le plus beau, le plus moderne de la Suède. Et depuis elle ne vivait que pour lui et par lui. Mais sans trahir sa fervente amitié pour la reine à laquelle elle faisait de fréquentes visites.

Et soudain ce coup de foudre de l’abdication. Par quel incompréhensible caprice cette jeune reine comblée renonçait-elle à l’un des royaumes les plus glorieux d’Europe, déposait-elle une couronne que tous lui enviaient, quittait-elle un peuple qui l’adulait ?

— Oh ! Christine ! soupira douloureusement la jeune femme.

— Me voici, répondit une voix grave.

Et précédée de valets qui portaient des flambeaux, Christine apparut.

Elle avait encore sa robe de satin blanc qui tombait en plis soyeux et s’arrondissait autour de ses pieds comme une corolle de perce-neige. Mais cette robe était fripée, souillée de vin et de sauce. Une manche déchirée pendait à l’épaule, les cheveux débouclés de Chris-