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le secret de la reine christine

Mais Christine peut-elle si aisément oublier le grand Gustave-Adolphe, le peuple qui l’a si profondément aimée, les êtres dévoués qui ont entouré son enfance, son maître Jean Matthiae que désole son reniement ?

Son cœur ne se serre-t-il pas en songeant à eux, à son pays, à son passé ?

Elle n’en laisse rien paraître. Toutefois, comme le soir même on lui offre une représentation théâtrale, au retour elle dit à Rinaldo :

— Ils m’ont donné une comédie. Ne leur en ai-je pas joué une ce matin ?

Mais le lendemain elle écrit au pape pour l’assurer de sa vénération, de sa fidélité. Et tout aussitôt elle se dirige vers l’Italie.

Elle fait son entrée à Rome le 23 décembre, en amazone, montée sur un superbe étalon blanc à la crinière tressée, vêtue d’une robe de soie grise brodée d’or, rayonnante sous son grand feutre empanaché de blanc.

Les dames de la haute société romaine, parées et scintillantes comme des châsses, siègent dans leurs carrosses sur le parcours du cortège. À eux seuls les bijoux de la princesse de Rossano valent plus de 700.000 écus. Des tapisseries précieuses pendent aux fenêtres. Le menu peuple, tassé contre les murailles, gesticule et crie. Les cardinaux groupés en éclatant massif, attendent près du portail de Saint-Pierre.

Christine descend de cheval et gravit avec majesté les marches de la basilique. Les murs en sont richement ornés et îe blason des Vasa y alterne avec les armoiries du pape. Les cloches sonnent. Le canon gronde. Se retournant alors avant d’entrer, elle cherche du regard son amant pour lui dédier toute cette gloire dont elle est encensée. Mais elle ne rencontre que les yeux du comte Sentinelli, des yeux troubles emplis d’une fureur jalouse. A-t-elle le temps d’en chercher la cause ?

Deux cardinaux l’attendent pour la conduire au pape. Elle plie trois fois le genou devant le vieillard immobile, au visage d’une pâleur d’hostie, elle baise son anneau, le bout de sa mule.

— Relève-toi, Alexandra, lui dit le pape avec bonté, en lui tendant la main.