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le secret de la reine christine

— Eh bien ? Ai-je été discret ? demanda Sentinelli, le lendemain matin, à son ami triomphant.

— Eh bien, Comte, que t’avais-je dit le jour de l’abdication ? répondit le marquis, en frisant sa fine moustache de jais. Crois-moi si tu veux : elle m’avait attendu ! La fière Christine de Suède m’a choisi comme premier amant ! Et elle m’adore… Notre but est donc atteint. Voici maintenant le mot d’ordre : nous escortons jusqu’à Hambourg une demoiselle errante, une orpheline fugitive qui n’a que nous comme protecteurs. Telle est la fable que la donzelle a imaginée. Si je continue à plaire — et je m’y efforcerai — sans doute, arrivée là-bas, se dévoilerait-elle. Alors, à nous la vie des Cours ! Avoue-le : n’est-ce pas bien joué ?

— Tu es un maître, Marquis, et je m’incline très bas devant ton génie… ou ta canaillerie !

— Génie ou canaillerie, notre fortune est faite. Et tu me la dois !

Au même moment, sur une table massive de la salle commune, Christine écrivait à sa chère Ebba :

« Que mon bonheur serait sans second, s’il m’était permis de le partager avec vous et si vous étiez témoin de ma félicité ! J’ai trouvé l’amour qui jusqu’à présent m’avait fuie. L’amour pur, désintéressé que j’avais toujours rêvé : un homme beau, brave, fin comme une lame, lettré jusqu’aux ongles et qui m’aime avec transport, me croyant une pauvre fille sans feu ni lieu ! Tout ce que je puis vous en dire, c’est qu’il est gentilhomme, Italien, qu’il a vingt-cinq ans et s’appelle Rinaldo.

« Je vous jure que je serais digne de l’envie des dieux, si je pouvais jouir en outre du bien de vous voir et de vous narrer ma joie, alors que trop souvent vous avez été témoin de mes peines. Mais ce sont là des choses qui ne se peuvent écrire.

« Par contre, je veux vous conter une historiette qui vient de se dérouler en cette hôtellerie où j’ai passé les plus belles de mes heures. Ce matin, pendant que je déjeunais d’un fort bel appétit, je vis dans un coin, appuyée au mur, une servante d’agréable aspect, dont les traits ne m’étaient point inconnus, et qui me dévorait des yeux. Je l’appelai pour la questionner. Là-dessus, elle poussa un cri,