Page:Viollis - Le secret de la reine Christine, 1944.djvu/151

Cette page a été validée par deux contributeurs.
147
le secret de la reine christine

Soudain, Christine tourna la tête. Elle venait d’entendre prononcer son nom.

Il avait été lancé à une table voisine où étaient groupés quelques marchands allemands dont l’opulence se décelait à la sobre richesse de leurs vêtements et aux colliers d’or massif qu’ils portaient autour du cou.

— C’est bien vrai : elle a abdiqué il y a quelques jours. Il n’était pas question d’autre chose à Stockholm dont j’arrive. Maintenant, elle cingle vers la Prusse ou la Belgique suivie de quinze navires de guerre… Mon compère Maître Goefle, orfèvre de la Cour de Suède, m’a conté la cérémonie de l’abdication. Elle a été magnifique, mais quelle tristesse pour tous ! Il en pleurait encore en me la narrant.

— Bien de la bonté ! s’écria un autre. Une folle qui abandonne sans raison son trône et ses sujets !

— Une dévergondée !

— Et puis laide avec ça ! Une vraie moricaude !

— Avec une épaule plus haute que l’autre. Presque bossue ! Monaldeschi se dressa, les yeux étincelants, une main sur la garde de son épée, l’autre sur la hanche, et s’avançant vers les marchands :

— Messieurs, prononça-t-il d’une voix claironnante, si vous étiez gentilshommes, je vous prierais de régler sur-le-champ l’affaire là, devant la porte, et à l’épée. Puisque tel n’est pas le cas, laissez-moi vous dire que je n’admets pas que l’on parle sur ce ton d’une reine célèbre dans le monde entier par sa grâce et sa science. Elle est bonne, elle est belle, elle est savante. Si elle abdique, c’est qu’elle a ses raisons et nul n’a le droit d’y redire. Que l’un de vous se permette un commentaire et je lui coupe les deux oreilles, foi de gentilhomme romain.

Dans la salle, tous les dîneurs s’étaient levés et écoutaient en silence. Les marchands se turent en grommelant et le marquis, qui les défiait du regard, se rassit, encore frémissant.

« Qu’il est beau ! pensait Christine, quelle flamme, quelle ardeur chevaleresque ! Oui, il a les yeux plus verts que Magnus. Et comme cette peau d’or sombre en souligne l’éclat ! »

— Maintenant, buvons à la santé de la reine Christine ! dit Sentinelli.