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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

— Est-ce possible, Madame ? On me l’a dit, mais je ne pouvais, le croire. Christine, la plus grande reine des temps modernes. Celle dont l’éclat et la science font pâlir les mérites de tous les monarques d’Europe, abandonnant son trône, son pays, ses sujets !… Pourquoi, oh ! pourquoi ?

Des larmes coulaient sur les joues rondes. Appuyant au mur son torse mince, moulé dans la casaque de cuir, croisant ses longues jambes bottées, Christine jeta autour d’elle un regard aigu :

— Tu le sauras, Ebba, mais calme-toi, tous les yeux sont fixés sur nous. Nous avons passé cinq ans cœur à cœur, tu le sais, plus unies que si nous étions nées de la même mère. Pourtant tu ne connais ni toute ma vie, ni toutes mes pensées. Moi-même ai-je bien approfondi les raisons qui m’ont conduite à la résolution que j’exécute aujourd’hui ? Écoute ! À l’instant même, je me rends au Conseil d’État puis au Sénat, écouter et signer les grimoires concernant mon abdication, assurer un héritier à Charles-Gustave, si d’aventure il ne lui naît pas d’enfant, et surtout défendre et assurer mon avenir, mes intérêts.

Les traits orgueilleux de la reine se durcirent soudain.

— Christine de Suède, poursuivit-elle, ne doit pas quitter son royaume en mendiante mais en reine et pouvoir toujours et partout garder son rang. Outre mon indépendance totale, il me faut des revenus : 250.000 thalers par an, voilà ce que j’estime indispensable à la dignité et à la sécurité de ma vie. Les discussions à ce sujet nous conduiront bien jusqu’à la moitié du jour. Puis l’après-midi, viendront la cérémonie d’abdication, les discours, les adresses à mon successeur, son couronnement et autres simagrées. Il y aura encore le banquet et enfin vers les huit heures de la nuit, je serai libre. Libre ! Comprends-tu bien ce que ce mot signifie pour moi, Ebba ? Libre pour l’aventure et pour l’amour !

Christine bondit sur place et s’étira avec un soupir d’extase. Son visage parut soudain merveilleusement embelli.

— Écoute, fit-elle en saisissant le bras léger de son amie, nous passerons la soirée toutes deux dans le petit salon en rotonde, tu