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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

— Qu’avez-vous, Madame ? Je n’ai pas osé troubler votre repos. Mais seriez-vous souffrante ? Le dîner attend depuis une heure.

— Entre ! fit Christine d’une voix irritée. Ah ! te voilà enfin, après m’avoir abandonnée pour galantiser avec ton amoureux ? Drôle de suivante, par tous les diables ! Retourne d’où tu viens. Je dînerai ce soir seule dans ma chambre… Et demain nous retournons à Stockholm… Nous n’avons que trop perdu notre temps ici…

Et comme Ebba, un peu tremblante, allait refermer la porte :

— Attends, mordiou ! cria la reine.

Soulevée sur ses coussins, les traits contractés, la chevelure en désordre, Christine se rongeait fièvreusement les ongles. Ebba, immobile près de la porte, attendait, les yeux baissés. Les minutes, passaient.

— Écoute, fit enfin la reine, tu diras au comte Magnus de la Gardie que je le recevrai demain matin à dix heures… Pas si vite. Ne te sauve pas !… Non, décidément, pas demain. Ce soir même, à neuf heures… Tu as bien entendu ? À neuf heures !

À l’heure dite, Christine était toujours étendue sur sa couche. Mais elle avait quitté ses habits de cavalier, ses bottes, revêtu sa robe de velours bleu pâle bordée d’hermine qui drapait étroitement son long corps svelte, chaussé des pantoufles de cygne blanc, coiffé ses cheveux noirs qui, retombant en boucles sur son front, avivaient le sombre éclat de ses prunelles. Des flambeaux, ingénieusement disposés dans la vaste chambre, répandaient sur ses traits une faible et flatteuse lumière qui en cachait la fatigue et l’émotion. Pourtant, quand on frappa, c’est à peine si sa voix put balbutier :

— Entrez !

Magnus, debout à l’entrée et lui-même pâle et défaillant, hésita un instant ; puis il se précipita fougueusement aux pieds de la reine, posa son front sur les deux petites pantoufles, et attendit, haletant. Christine demeurait muette et sans mouvement. Le jeune homme se risqua enfin à saisir entre les siennes une main qui s’abandonnait et la baisa respectueusement. Puis ses lèvres fermes et douces, s’enhardissant peu à peu, entourèrent comme d’un bracelet le poignet tremblant et remontèrent le long du bras en insistant pour se fixer à la tendre saignée du coude.