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criquet

« Voilà, pense-t-elle, c’est fini ; ils veulent tous que je ne sois plus une enfant ; bientôt je vais être une femme, puis je m’ennuierai très longtemps jusqu’à ce que je devienne une vieille, comme la mère Sainte, et que je meure. »

Elle tend les bras dans le vent, elle les tâte avec pitié, comme s’ils étaient déjà froids et raidis. Mourir… Elle songe à sa grand’mére, étendue sous un drap que relèvent les pieds, les yeux entr’ouverts et blancs, la bouche noircie. Elle entend les pas pesants de ces hommes affreux qui sont venus dans la chambre fondre du plomb sur un grand feu rouge qui sifflait… Oh ! cet œil rouge qui tourne là-bas, très loin, et jette du sang sur l’eau, qu’est-ce que c’est ? Et ces lumières pâles sur la mer ? On dirait des draps qui remuent…

On a crié sur ce rocher… Quel affreux cri, long, déchirant, lugubre ! Les noyés doivent hurler comme ça, la nuit, quand un poulpe les prend dans ses bras visqueux… Non, c’est un oiseau aux lourdes ailes qui effleure Criquet au passage.

Elle frissonne. Elle est seule. Elle écoute les voix qui chuchotent, qui pleurent tout bas avec de fables gémissements… Des choses bougent, frémissent autour d’elle ; ici, le sable danse en petits tourbillons ; là, un objet blanc cabriole à ses pieds : c’est un os qui a l’air fou, oh ! mon Dieu, un os de mort sans doute !

Cette fois Criquet se retourne et se met à courir de nouveau ; mais ses jambes flageolent, ses dents cla-