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arrivent au ras de la barque, becs tendus, puis voltent tout à coup, montrant la lueur rapide et blanche de leurs ventres, dans le tourbillon qui rebrousse leurs ailes.

— Des courlis, prononce le marin : c’est chance que nous allions droit sur Saint-Pleuc, il va pour sûr faire orage.

Criquet, qui a oublié sa rancune, lui sourit avec bonheur. De l’orage ? Une tempête peut-être comme dans Télémaque ? Elle revoit la gravure où Mentor lance son élève cuirassé et casqué, tête en avant, au milieu des flots en courroux. Si Saint-Pleuc pouvait être l’île de Calypso ! Elle trépigne, frappe des mains et crie, des cris aigus que le vent lui arrache de la bouche et emporte par lambeaux. Une nouvelle rafale, puis les îlots s’évanouissent, la mer pâlit et Camille est enveloppée d’un grand voile de pluie soyeuse…


Il a plu tout le jour sur Saint-Pleuc, sur sa ceinture de rocs, sur ses cabanes plates et ses figuiers tordus. Maintenant, c’est le soir. Criquet est assise à même le sol raboteux, près d’une cheminée où, avec une maigre flamme jaune, fument des débris de rames. Ses genoux dans ses bras, la tête sur sa culotte mouillée qui sent la saumure, elle se balance doucement et songe. Michel, appuyé contre un rouleau de cordages, sifflote, étendu près d’elle. Elle est un peu lasse, les membres