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Mais une bouflée de vent arrache soudain le béret de Camille, gonfle sa pèlerine, déploie la voile qui claque et se tend. Le bateau s’arrête, craque, se soulève, retombe dans la vague avec un son mat, puis cingle, preste, dans un bruissement de soie qu’on déchire. La mer, tout à l’heure plate et muette, semble partout s’éveiller, frissonner ; des vagues pointent, se gonflent en sillons, se creusent en coquilles, la crête dressée, la voix hargneuse ; les îlots que l’on apercevait de loin, immobiles et mornes, s’animent et tanguent avec des profils d’animaux grimaçants ; de grandes traînées bleu sombre courent sur l’eau, courent en sifflant et en chantant…

Le vent sauvage entre dans les cheveux de Camille, dans sa bouche ouverte, dans ses manches, sous son jersey. Elle le sent autour de son cou, sous ses bras, entre ses doigts ; il fouette, il est frais, il est bon, il est vivant ; il veut la prendre, l’enlever, l’emporter comme un morceau d’écume. Elle résiste, accrochée au mât qui gémit et se balance, debout sur l’avant dont le beaupré plonge : des giclées d’embrun rejaillissent, la cinglent au visage, remplissent ses yeux et son nez, ruissellent sur ses joues, le long de son cou. À la bonne heure ! Elle lèche ses lèvres salées, éternue, secoue ses mèches qui dégouttent, plie les genoux puis les redresse aux chocs de la vague et rit de tout son cœur, joyeuse, enivrée.

Un vol d’oiseaux bruns entraînés par la rafale