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criquet

de Le Bihan. Le pêcheur donne un coup de menton, secoue la tête et grogne :

— C’est pas pour la bête. Mais les femelles, les petites comme les grandes, ça ne sert qu’à tout brouiller !

Criquet rougit violemment. Son père a-t-il entendu ? Oui : il se tient penché sur sa ligne, mais elle voit le coin de sa barbe qui rit.

Elle court jusqu’à l’avant du bateau, étreint le mât dans ses deux bras, y meurtrit son visage, et s’y cramponne de ses doigts crispés de colère. De quoi se mêle-t-il, ce Le Bihan ? Est-ce qu’il a seulement besoin de savoir qu’elle est une fille, puisqu’il l’a toujours vue habillée en garçon ? D’ailleurs, il ne déteste pas tant les femmes. L’autre semaine, quand toute la famille se promenait en barque, il a chanté une romance stupide et chaque fois que venait le refrain :

« Reçois mes vœux et mon encens… »,


il se tournait vers Suzanne avec un grand salut. Qu’il était ridicule, la main sur son cœur, le nez en bec de poule qui a pondu, son fond de culotte rapiécé tombant jusqu’aux chevilles ! Il est laid : chaque fois qu’il change la voile, il tord du même côté sa grande bouche noire ; il est méchant aussi : ses deux femmes sont mortes l’une après l’autre, il coupe la tête des poissons comme par plaisir et il donne des coups de pied à son chat galeux…