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Criquet en détournant la tête ; ils ont un œil cruel… Mais ce petit poisson à mes pieds, qu’est-ce que c’est ? Je n’en ai jamais vu de pareil.

— Peuh ! Pas grand’chose… De la bête de roche, tout juste bonne à mettre dans la soupe…

Il a un corps mince et luisant, ce poisson, avec de doux reflets de coquillage, quatre ailerons roses qui palpitent, des yeux d’or innocents dans une tête cornue ; sa bouche déchirée se ferme et s’ouvre d’un mouvement monotone qui tend la gorge douloureuse.

— Il étouffe, pense Camille en avalant de tous ses poumons des lampées d’air humide ; comme moi, lorsque je mets ma tête au fond de mon lit, en rêvant. C’est affreux d’étouffer !

Elle pousse du bout de son espadrille le poisson qui bondit, tendu en arc, et retombe avec un bruit mou sur les planches boueuses. Toujours le même effort angoissé de la pauvre bouche qui saigne ! Criquet imite malgré elle le halètement d’agonie.

— Tant pis ! murmure-t-elle tout à coup.

Elle saisit le poisson par la queue, le balance au-dessus du rebord de la barque et le laisse glisser délicatement ; il demeure immobile, son ventre blanc ! allongé sur l’eau comme une fleur, puis il se retourne brusquement, plonge, file et disparaît avec un dernier éclair de son corps nacré.

Mais Criquet rencontre alors le regard dédaigneux