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qui frissonne. Les arbres, tournés en file vers la mer, et tout bossus, rentrent la tête dans leurs épaules et des larmes coulent de chacune de leurs branches noires, de chaque brin d’herbe incliné sur le bord du chemin. Criquet sent aussi ses cils froids et mouillés contre sa joue et elle aperçoit des gouttes d’eau rondes, un peu luisantes, sur les poils frisés de la moustache de son père.

— Comme il est grand et fort, papa, pense-t-elle.

Il frappe les cailloux de son bâton ferré ; ses épaules soulèvent à chaque pas le molleton de la pèlerine et ses cheveux d’un blond ardent forment sur sa large nuque de petits anneaux courts ; car ses cheveux bouclés ne sont pas souples comme ceux d’une femme, mais, crépus et rudes, on dirait sous la main une brosse de chiendent. Il tient toujours la tête en arrière, sa voix sonne et commande, et ses yeux couleur de fer, oh ! ses yeux ; on ose à peine les regarder.

Il est bon, pourtant. À l’usine dont il est l’ingénieur, les ouvriers l’aiment. Il prend leur défense auprès des patrons et c’est à cause de lui, qu’ils n’ont jamais fait grève. Il a voyagé partout : en Afrique où il y a des lions et des éléphants, dans les pays de mines et de neige, quelque part vers le Pôle Nord, et dans ces immenses villes d’Amérique si laides avec leurs maisons qui grattent le ciel et leurs cheminées qui fument. Lui qui a vu et fait tant de choses, comment ne comprendrait-il pas le souci de sa fille ?