Page:Viollis - Criquet, 1913.djvu/55

Cette page a été validée par deux contributeurs.
43
criquet

bâton. Je vous remets maintenant, vous êtes la seconde demoiselle de madame Dayrolles. À mon âge, dame, on n’y voit plus bien fin.

Elle souriait en laissant voir un bout de langue sur ses dents jaunes et ébréchées, l’air content ; un bandeau de toile blanche avec un nœud tout raide sur l’oreille encadrait son visage racorni ; une mante noire à capuchon se bombait sur son dos en arc, et d’un doigt incertain elle effaçait une larme au coin de son œil voilé.

— Vous êtes donc bien vieille, mère Sainte ? interrogea Camille avec une déférente sympathie.

— Si je suis vieille, ma chère demoiselle ! Mais j’ai près de septante-cinq ans… Quand je débarquerai chez le bon Dieu, j’y trouverai tout mon monde qui est là à m’espérer…

— Votre mari ? C’était un très bel homme, n’est-ce pas ? J’ai vu son portrait en uniforme avec son grand col marin…

— Oh ! non il n’était pas beau, mon pauvre bonhomme ! Il était même bien vilain, encore plus vilain que moi ; mais je serai tout de même contente de le revoir, lui et mes deux gars.

— Ils sont morts aussi ? Pourquoi ?

La vieille eut un geste vague.

— À la mer… Et puis les mauvaises fièvres. Ils naviguaient à l’État. C’est ça qui m’a fait avoir ma pette pension.