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sur sa lèvre inférieure, se disposa à enfiler une aiguillée de soie rouge. Mais l’aiguille, sans doute, était trop fine ; Criquet eut beau l’essuyer sur son tricot de laine, la passer dans ses cheveux, sucer la soie, la mordre, la tordre entre ses doigts humides, viser, en fronçant les sourcils et le nez, le trou imperceptible qui tremblait dans sa main gauche, l’aiguille et la soie s’obstinèrent à ne pas se joindre ; elle poussa un gros soupir et coula vers son institutrice un coup d’œil suppliant.

Miss Jenkins demeurait impassible. Droite sur son fauteuil, les coudes au corps, les jambes correctement allongées devant elle, elle tricotait avec une rapidité mécanique.

« Elle ressemble au roi assyrien de mon histoire ancienne », songea Criquet.

Mais elle s’aperçut que le visage de l’Anglaise semblait plus long encore que de coutume, plus décoloré, que ses rides fléchissaient avec une mélancolie douloureuse et elle vit frémir le coin de sa lèvre plissée.

Elle se souvint alors que miss Winnie avait éprouvé un grand chagrin. Pendant l’hiver, un gros monsieur aux yeux ronds et brillants, aux mains énormes, avec un fort accent alsacien, était venu passer des heures au salon, le soir, près de miss Jenkins vêtue de drap prune, Camille remarquait que ces jours-là son institutrice ne manquait jamais de poser sur son front démesuré le beau toupet blond, frisé, acheté quarante