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— Je n’ai pas entendu, répondit Criquet d’un petit ton soumis. Rentrons, veux-tu ? ajouta-t-elle en lui prenant câlinement le bras. Je crois bien que ma vie de garçon est finie…

Un instant plus tard, dans sa chambre, Criquet considérait d’un air songeur le pantalon et la vareuse tombés par terre à ses pieds. À cette minute, ces vieilles nippes usées prenaient une valeur de symbole ; Criquet dépouillait avec elles sa vie passée, tous les rêves puérils que personne n’avait connus, dont elle souriait maintenant, tous ses espoirs, tous ses regrets stériles. Certes, elle enviait toujours le sort des hommes, mais elle avait appris qu’ils ne possédaient ni toutes les vertus, ni tous les privilèges, qu’ils n’étaient bien souvent, comme les femmes, que de pauvres êtres incertains et asservis.

Désormais, elle serait une jeune fille. Elle acceptait le fait. Et même, lorsque, après avoir agrafé sa blouse et passé les mains autour de sa ceinture étroite pour faire bouffer l’étoffe sur la poitrine, au-dessous de la collerette blanche, elle aperçut dans la glace son visage animé, elle lui sourit avec joie, avec espoir. Elle pensait aux regards, aux paroles de Michel : elle se rappelait que, le matin, en la croisant dans la rue, une dame s’était écriée : « Oh ! la jolie fillette ! » Jolie ?… Non. Mais elle n’était plus une déshéritée : elle possédait, comme presque toutes les femmes, sa part de grâce et de jeunesse. La vie s’étendait avec