Page:Viollis - Criquet, 1913.djvu/286

Cette page a été validée par deux contributeurs.
274
criquet

— Combien y a-t-il de temps au juste que nous ne nous étions vus ? demanda-t-il.

— Plus de huit mois… Depuis la mort de pauvre papa… en mars.

— Et qu’as-tu pu faire si longtemps là-bas, Camille ?

Peut-être était-ce la première fois qu’il ne l’appelait pas Criquet. Mais, le front grave, le regard lointain, elle ne s’en aperçut pas.

— Là-bas ? dit-elle après un silence. Je ne sais pas trop… Il me semble parfois que j’y suis restée des siècles, parfois, au contraire, quelques jours seulement. Les premiers temps, j’ai eu tant de peine que je ne me souviens de rien ; puis, je me suis engourdie peu à peu, avec, de temps à autre, de petites piqures d’aiguille, si fines, dans le cœur. On se dit : « Enfin, je n’ai plus mal… » Et puis, la douleur se réveille. Je crois, vois-tu, que mon chagrin ne s’en ira jamais tout à fait. Comment te dire ? Avant, je savais bien qu’on pouvait perdre son père, mais il me semblait impossible que cela m’arrivât… Et c’est venu si soudainement ! Je ne pouvais pas, je ne voulais pas croire que ce fût fini. Si nous n’étions pas partis pour la Normandie, je serais devenue folle.

Elle parlait par phrases hésitantes. Elle sentait que Michel l’écoutait comme autrefois, et, comme autrefois, elle voulait lui confier sa pensée sincère.

— Là-bas, continua-t-elle, tout était tellement différent ! Il y avait d’abord la vieille cousine qui nous