Page:Viollis - Criquet, 1913.djvu/282

Cette page a été validée par deux contributeurs.
270
criquet

Ses yeux tombèrent sur la place de son père. Tante Éléonore se disposait à s’y asseoir. Criquet s’élança, les dents grinçantes, les poings levés :

— Je ne veux pas, cria-t-elle d’une voix rauque, C’était sa place, sa place à lui, je vous défends, vous entendez, je vous défends de la prendre !

Elle regardait sa tante avec haine. Elle aurait eu plaisir à la mordre, à la battre, à la tuer. Puis, voyant son air stupéfait :

— Pardon, pardon, balbutia-t-elle.

Elle se sauva. Personne ne la suivit.

— Cette enfant est terrible, remarqua seulement tante Éléonore.

Miss Winnie ne songeait qu’au chagrin de Suzanne, qui sanglotait de fièvre dans son lit. Les autres n’eurent pas l’idée que cette gamine singulière, qui n’avait même pas pleuré, pût souffrir atrocement.

Camille s’en allait par l’appartement noir, s’accrochant aux draperies, griffant les murs, chancelant à travers les ténèbres, lamentable, affolée, perdue. Puis elle bondit tout à coup et se trouva dans la chambre de son père dont elle referma doucement la porte.

Tout y était paisible, ordonné. La lumière vacillante du bec de gaz, dans la rue, glissait sur le parquet, tremblait le long de la table de noyer, mettait une lueur blanche sur un livre ouvert, accrochait un éclair à la panse de l’encrier de cristal. Un léger par-