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Il prit les petites mains rouges dans ses mains desséchées aux ongles courbes, les serra, et considérant sa fille avec avidité :

— Mon Criquet, ma chérie, dit-il d’une voix un peu haletante, lorsque tu es née, j’attendais un garçon, j’étais déçu ; je n’ai pas eu vers ton mignon visage grimaçant le grand mouvement de tendresse que j’aurais dû… Oh ! ma petite, je te demande pardon… Je t’ai bien aimée plus tard. Te souviens-tu ? Tu avais trois ans, des mèches en anneaux roux autour du front, et un air si résolu ! Je t’envoyais, le soir, chercher une fleur au fond du jardin ; tu avais peur, tu courais, puis j’entendais tes petits pieds hésitants sur le gravier… Je revois cette nuit, par la fenêtre, les arbres qui bougent, un oiseau qui file dans les feuilles, je sens l’odeur du seringa… J’étais jeune, J’étais fort. Te souviens-tu de ce temps, Camille ?

— Pas trop, papa.

— Il faut se souvenir, ma petite fille, il faut toujours se souvenir… Plus tard, je t’ai peut-être un peu délaissée, ma chérie… J’étais si occupé ! Mais c’était pour toi encore, pour vous tous ; il fallait gagner de l’argent, en gagner sans cesse davantage ! Et maintenant, hélas ! Peut-être que je me trompais, que ce n’est pas là le vrai bonheur… J’aurais dû mieux vous connaître, ne pas perdre le temps qu’on ne retrouve jamais, causer avec vous, avec toi, t’écouter, ne pas rire… J’ai ri quand tu m’as