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Aussi, lorsque, quelques minutes plus tard, elle entrait sur la pointe des pieds dans la chambre de son père, avait-elle presque oublié l’opération prochaine.

M. Dayrolles était étendu tout habillé sur le lit où son grand corps robuste s’enfonçait, formant un creux, comme s’il pesait très lourd ; ses cheveux n’avaient plus leur crêpelure vivace ; ils étaient ternes, aplatis, semés de mèches blanches, un reflet argenté courait sur sa barbe en broussaille, et son visage aux lignes fléchies, à la peau sèche et fendillée, se pommelait de taches brunes ; sa main pâle pendait le long du drap. Il était tourné vers la fenêtre, et ses yeux trop clairs dans leurs paupières jaunies, avaient un regard fixe, profond, d’une lucidité amère, douloureuse, un de ces regards qui savent et désespèrent, et que l’on cache à ceux qu’on aime.

Mais Camille, debout au pied du lit, ne remarqua pas plus ce regard que les altérations du visage familier. Contemplant la forme immobile, elle se disait simplement, avec un effroi presque hostile : « Papa aussi, à l’âge de Michel, a peut-être fait de vilaines choses. De pauvres femmes ont pleuré à cause de lui. Et il riait sans doute, comme Michel… »

Aussi, quand son père l’aperçut et qu’un tressaillement passa sur les pauvres joues amollies, Criquet n’eut-elle pas un élan. Elle s’approcha du lit, et dit : « Comment vas-tu, papa ? », de son ton habituel.